Rubrique « Et si ? »
Et si... ? Et si... je n’étais pas limité, ni par des entraves internes ni par des obstacles extérieurs ? Qu’est-ce que je créerais ? Et si... j’imaginais mon monde de création idéal ? Quel serait-il ? Quelles ressources extérieures à moi-même ce monde idéal mettrait-il à ma disposition et de quelle façon? Quelles répercussions cela aurait-il sur mon processus de création ? Sur l’objet de ma création ? Sur le public ? Sur moi-même en tant qu’auteur ?
Et si... ? est un exercice d’imagination proposé à un auteur, compositeur, cinéaste, danseur.
Cet exercice invite le créateur à imaginer un processus de création qui serait, à son avis, idéal.
Idéal ne signifie pas irréaliste ou irréalisable ! Idéal signifie ce qui n’est pas encore mais qui peut potentiellement exister.

La scène est là. Partout et nulle part. Je vais, par les chemins. A pied, à cheval ou en batiscaf, même en aéronef parfois. J’ai des compagnons, certains de longues dates, d’autres rencontrés hier. Nous faisons vibrer de l’air. C’est notre vie. Pour l’air, pour nous, pour les gens. On invente, réinvente des bouquets de sons. Parfois on convoque les esprits des vibreurs d’air du passé, pour nourrir notre présent.
Toujours l’improvisation est là. L’écoute. La liberté et l’exigence. Nos instruments sont les prolongements de nous-même. Nous en travaillons le geste, jour après jour, et par cela, entrons en vibration avec le corps, les émotions, la nature. Pas de chef, ni de hiérarchie. Ce qui ne veut pas dire pas de discipline ou d’opiniâtreté, car dieu sait si certaines figures, certaines glissades, certains équilibres en exigent. Pour nous, un des chemins de la plénitude passe par la capacité de faire le vide en soi, et ainsi d’entrer en vibration avec soi-même, les autres et le monde qui nous entoure. Et lorsque le son absorbe toutes pensées et toute volonté et investit chaque cellule du corps et de l’âme, l’énergie est phénoménale.
Bien sûr des fois on se bagarre, on se questionne, on se jalouse, on joue l’un contre l’autre. Bien sûr, je cède au découragement, aux doutes. Aux ivresses faciles. A la paresse, au marasme, qui n’est qu’une forme de jachère.

Mais la poésie qui surgit parfois des sons qu’on crée est plus grande que nous; elle nous émerveille, nous grandit, et souvent les gens qui nous entendent partagent alors leur repas, leurs toits, leur chaleur, leurs idées et leurs expériences. Et au fil des rencontres, je m’inscris dans un ensemble. Les idées circulent, la musique se transmet, oralement, ou par une écriture vivante et mouvante, ou par les documents sonores. Nous aimons également travailler avec les bougeurs d’images, avec les montreurs de mots, ou les rêveurs de corps. Régulièrement, et souvent spontanément, on se rassemble pour de grandes fêtes, bacchanales créatrices, ou cuisent, pulsent et s’échangent les idées, en des jams multiples et colorées. Ainsi je découvre, j’ingurgite les oeuvres du passé, du présent, et je butine aux multiples fleurs de la création humaine, pour faire mon miel. Le plus possible, je m’inscris au présent.

Dire qu’il y a des coins où la vibration se vend ! Elle est capturée, soumise à la loi des puissants, aux lois des marchés. Elle est utilisée à des fins narcotiques, de propagande, d’abrutissement. Elle sert même à la gloire, à la fortune et aux honneurs de ceux qui la font ! Tout en enrichissant une multitude de parasites. On dit que dans ces coins-là, il faut des endroits spéciaux pour jouer, avec des murs, avec des règles, des chefs, et où les gens paient pour écouter, et d’autres sont payés pour faire payer ceux qui veulent écouter.

Je préfère jouer libre dans une plaine herbeuse, pour des gens curieux et ouvert, et aller ensuite manger et deviser avec eux. Jouer sur une montagne, pour une poignée d’ arpenteurs, en appétit de contrepoint musical aux sons de la nature. Ou jouer de silence, à l’orée d’un désert, pour les tailleurs de route. Nous pouvons aussi jouer dans la basse ville, sur la place, faire danser les habitants. Ou encore dans une antre nocturne, enfumée, avide de vibrante sensualité. S’invitent les harmoniques, les frottements infimes, les pulsations profondes, les dynamiques extrêmes, qui toujours nous rappellent qu’il n’y a pas de réponses, qu’il y a juste ici et maintenant, au coeur des deux extrémités de la plus grande vibration que nous connaissions: la vie et la mort.